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Climate House, créer des liens en faveur de la transition
Société

Climate House, créer des liens en faveur de la transition

06 Août 2025

Partager un lieu de travail, d’échange et de coopération pour accélérer la transition économique, environnementale et sociale : tel est le but de la Climate House, inaugurée en octobre 2024 au cœur de Paris.

Reportage de Réjane Éreau

Le 3 février 2025, ils ont agi collectivement, en signant une tribune commune dans La Croix. Leur but : dénoncer la piètre prise en compte de l’écologie dans les débats politiques sur le budget. Une « grave erreur », estiment-ils, un « manque de vision » qui ne scrute l’écologie que sous le prisme court-termiste de la contrainte et de l’austérité, au lieu de l’envisager comme une opportunité de transformation.

« C’est pour nous une évidence que l’écologie ne doit en aucun cas échapper à l’évaluation ou à la recherche d’efficacité », écrivent-ils. « Mais elle doit aussi être traitée comme une priorité stratégique. Comprenons que chaque euro investi aujourd’hui dans la transition écologique correspond à plusieurs euros économisés demain. Regardons l’impact des catastrophes climatiques sur nos finances publiques, il ne fera qu’augmenter si nous continuons à sous-investir dans la prévention et l’adaptation. C’est une logique d’investissement, pas de dépense. »

Les auteurs de ces lignes sont les cofondateurs de la Climate House. Quatre-vingts entrepreneurs, acteurs associatifs et investisseurs dont la réussite s’est inspirée des modèles de l’économie sociale et solidaire, de l’économie circulaire, de la finance durable ou de la green tech. « Nous savons que la transition écologique n’est pas une contrainte, c’est une chance », insistent-ils. « Elle ouvre de nouveaux marchés, crée des emplois et stimule l’innovation. »

La Climate House est située au 39 rue du Caire, à Paris. Crédit photo : Réjane Éreau

Les quatre initiateurs de la Climate House en sont la démonstration. À l’origine du projet, il y a Lucie Basch, fondatrice de Too Good To Go, une application mobile qui met en relation ses utilisateurs avec des commerces – essentiellement alimentaires – dont les invendus sont proposés à prix réduits. Lancée en France en 2016, elle compte aujourd’hui dans l’Hexagone plus de quinze millions d’utilisateurs.

À ses côtés, on trouve Clément Alteresco, fondateur de Morning, pionnier des espaces de coworking, ainsi que Claire Bretton, directrice de l’entreprise d’électroménager reconditionné Underdog, et Jack Habra, entrepreneur spécialiste de l’intelligence artificielle. Fortes des succès obtenus au sein de leurs propres structures, ces quatre personnalités « à impact » ont eu à cœur d’imaginer un projet collectif d’accélération de la transition, en réunissant autour d’eux un pool d’acteurs motivés par ces enjeux.

Une énergie entrepreneuriale

Paris, rue du Caire, le quartier du Sentier. Traditionnellement, c’est là que sont installés les professionnels du textile et du prêt-à-porter. Et effectivement, des deux côtés de la rue, des vêtements monopolisent les vitrines. Dans quels pays et dans quelles conditions ont-ils été fabriqués ? Avec quel respect de l’humain et de l’environnement ? C’est au numéro 39, au cœur de ce qui est devenu il y a une vingtaine d’années la Silicon Sentier, c’est-à-dire le lieu de ralliement de la French Tech, que la Climate House a ouvert ses portes.

« Tout est allé très vite », raconte Maïka Nuti, sa co-directrice générale. « Les cofondateurs du projet sont de vrais magiciens de la création de valeur ! L’idée est née début 2024. Henri-François Martin, l’autre co-DG, et moi avons été recrutés en juin. La maison a ouvert ses portes en octobre, sous la forme d’une SAS. »

Depuis, c’est l’effervescence. N’imaginez pas un coworking feutré. La Climate House n’est pas un refuge pour les rêveurs, les lents, les timides, les solitaires. C’est une maison d’entrepreneurs, dont l’objectif principal est de créer du lien. Sur deux mille mètres carrés, répartis sur huit étages, des acteurs du monde économique y travaillent, s’y rencontrent et y partagent des moments formels ou informels autour de la transformation économique, écologique et sociale.

À l’accueil de la Climate House. Crédit photo : Réjane Éreau

« L’énergie entrepreneuriale est très ancrée dans la maison », convient Maïka Nuti. « Ici, on est plutôt test and learn que préfiguration et étude de marché ! » À l’entrée : les photos des quatre-vingts cofondateurs. Quarante hommes, quarante femmes, réunis pour leurs compétences dans le domaine de la transition, mais aussi pour la diversité de leurs origines et de leurs parcours.

« Ces quatre-vingts cofondateurs se sont engagés dans le pack d’actionnaires à donner des ressources à la Climate House – financières, commerciales ou de temps », détaille Maïka Nuti. « Chacun d’entre eux a son angle, sa façon de s’investir dans la gouvernance de la maison. »

« Ici, on est plutôt test and learn que préfiguration et étude de marché ! »

Maïka Nuti, co-directrice générale de la Climate House

L’un des cofondateurs a par exemple décidé que la Climate House devait se doter d’un enjeu de représentativité ethnique et sociale, et que cela devait passer par la formation de l’ensemble des acteurs aux questions de racisme, de sexisme et d’endogamie. « Pour un autre cofondateur, le vrai sujet de la SAS est sa mesure d’impact », poursuit Maïka Nuti.

« Nous sommes donc en train de travailler à la forme qu’elle pourrait prendre. Vincent Stuhlen, cofondateur de la maison et dirigeant de l’Impact Lab, nous aide sur les aspects environnementaux, et l’ESSEC nous accompagne sur la théorie du changement et l’impact social. Au-delà de la belle intention de départ, nous avons une responsabilité. Dans un an, sur quels critères concrets pourrons-nous affirmer que nous avons réussi ? »

Une communauté de 600 personnes

À l’entrée de la Climate House, se trouvent également les photos ou les logos des trois cent cinquante « colocataires » de la maison. « Ce sont les entrepreneurs qui ont décidé d’y installer tout ou partie de leur activité et de participer à sa dynamique », indique Maïka Nuti. Car le premier pilier de la Climate House, c’est son bâtiment lui-même, doté de postes de travail et d’espaces où se rencontrer physiquement et échanger.

« C’est comme l’algorithme de LinkedIn ou de Facebook en version incarnée ! » sourit-elle. « Ici, on croise quelqu’un, on se parle, on se donne des contacts, des idées… C’est hyper-vivant. Certains disent même qu’il y a des jours où ils ne descendent pas à la cuisine pour prendre un café, car ils risquent de ne jamais remonter ! On privilégie la présence, la disponibilité. On vient à la Climate House et on accueille ce qu’il se passe. C’est une forme d’agilité. »

Depuis le lancement du projet, ses responsables ont reçu six mille demandes. « Les locaux ne pouvant accueillir tout le monde, nous avons décidé de créer une formule d’adhésion, qui permet à ceux qui n’ont pas investi dans la Climate House ou qui ne viennent pas y travailler de profiter de sa programmation, de son collectif et de ses groupes de réflexion », indique Maïka Nuti. « Ce n’était pas prévu dans le business plan initial, mais on s’est adapté ! Au total, aujourd’hui, nous sommes près de six cents. Notre plus bel actif, à mon avis, c’est notre communauté. »

« Certains disent même qu’il y a des jours où ils ne descendent pas à la cuisine pour prendre un café, car ils risquent de ne jamais remonter ! »

Maïka Nuti, co-directrice générale de la Climate House

Le deuxième pilier de la Climate House, c’est son « atelier », c’est-à-dire sa programmation d’événements, conçue pour aider les entrepreneurs à booster leur transformation – tant au niveau personnel que dans leur organisation et leur secteur d’activité.

L’organisation d’ateliers et d’événements fait partie des missions de la Climate House. Crédit photo : Réjane Éreau

« Après trois mois d’existence, nous en sommes déjà à soixante-dix événements ! » se félicite Maïka Nuti. « Il y en a le matin, le midi, le soir… Nous avons créé différents formats, autour de six thématiques : modèle et culture, énergie, bâtiments et structures responsables, agri-agro, finance durable et biodiversité-océan. Nous voulons être une communauté apprenante. Notre programmation se nourrit des idées et des compétences de chacun. Nos membres ont plein de choses à transmettre. Nous sommes coresponsables du fait qu’ensemble, nous souhaitons accélérer la transition. »

Incarner la coopération

Si l’intention des différents acteurs de la Climate House est commune, leurs profils et leurs cultures sont multiples. Certains viennent du monde corporate, d’autres de la start-up nation. Certains sont des TPE ou des associations, d’autres des fonds à impact ou des Comex de multinationales. « Cette diversité nous est importante », ponctue Maïka Nuti.

« Sur bien des sujets, les gens ne sont pas forcément d’accord entre eux. Mais cela aussi, est apprenant. Le point clé, c’est l’aventure humaine collective. Désormais, il ne s’agit pas juste d’avoir l’information, mais de se mettre en mouvement », portés par un collectif et des espaces fertiles « à l’envie d’agir, à la transformation et à la bascule ».

Cette nécessité de coopération entre les mondes est aussi ce qui a motivé le choix d’une co-direction générale. « Mon binôme, Henri-François Martin, est plutôt issu de l’univers des start-ups », indique Maïka Nuti. Elle a travaillé pendant quinze ans chez L’Oréal avant de cofonder une école dans les bois. L’éducation alternative a été son levier de transformation.

« J’ai aussi été la déléguée générale d’une fondation actionnaire », souligne-t-elle. « Avec la Climate House, je reviens à l’économie, dans une approche régénérative plutôt qu’extractiviste. Étymologiquement, l’économie c’est l’art de gérer la maison. Henri-François et moi sommes très différents ; nous ne venons pas du même endroit, nous ne nous battons pas pour la même chose. Mais nos deux visions sont utiles. Si nous arrivons à nous entendre, à travailler ensemble et à incarner un alignement de représentation, c’est que l’alliance est possible. Si l’on veut vraiment engager des mouvements systémiques face aux défis actuels, il est temps de passer d’un modèle de division à un modèle de coopération. » 

La Climate House propose différents espaces de travail, répartis sur huit étages. Crédit photo : Réjane Éreau

À l’heure du déjeuner, la cuisine ouverte de la Climate House, qui occupe une place centrale au rez-de- chaussée du bâtiment, fourmille de monde. Son énergie est communicative, mais Maïka Nuti le sait : il va falloir durer dans le temps. Au-delà de l’enthousiasme de départ, comment maintenir la flamme quand chacun sera repris par son agenda, ses galères et ses objectifs propres ? Comment ne pas être juste la « place to be » du moment, mais réussir à fédérer solidement une communauté, à la connaître, à en prendre soin, à l’animer et à la catalyser autour de quelque chose de « juste » ?

Tous les pionniers des collectifs le savent : sur le long terme, c’est difficile. Au-delà des bonnes intentions, des envies d’y arriver, finissent par émerger le facteur humain, les lassitudes, la reproduction de réflexes, la confrontation des attentes explicites et implicites. « Il y a une injonction à coopérer, mais souvent on ne sait pas faire », admet Maïka Nuti. Comme le disent les cofondateurs de l’Institut des Territoires Coopératifs, Anne et Patrick Beauvillard, « si ça se passe comme prévu, ce n’est pas de la coopération!»

« Nous allons devoir prendre soin de ces sujets et en nourrir nos membres», poursuit Maïka Nuti. « Pour l’instant, nous sommes une communauté fermée. Avant de nous ouvrir à d’autres, nous devons apprendre à nous connaître et établir une culture commune. Cela ne marche pas par simple injonction. Notre rôle est de parvenir à faire coopérer tous ces acteurs, sur les bons sujets. »

« si ça se passe comme prévu, ce n’est pas de la coopération ! »

Anne et Patrick Beauvillard, cofondateurs de l’Institut des Territoires Coopératifs

En région, déjà, des mairies ou des groupes d’entrepreneurs ont fait part de leur envie de créer d’autres Climate Houses. « On travaille avec eux, on réfléchit à la forme que cela pourrait prendre, sans être forcément dans la réplication », indique Maïka Nuti.

Selon une publication du Secrétariat général à la planification écologique en date de juillet 2024, la planification écologique pourrait concerner près de huit millions d’emplois et être créatrice nette de 150 000 emplois d’ici à 2030 dans les « secteurs à enjeux », tels que le bâtiment, l’industrie ou l’énergie.

« C’est le meilleur investissement que l’on puisse faire pour s’assurer un futur souhaitable, résilient et pros- père », indiquent les quatre-vingts cofondateurs de la Climate House dans leur tribune du 3 février 2025. Et Maïka Nuti de conclure en souriant : « Au pire, ça marche. »

Crédit photo de couverture : Réjane Éreau

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